Société Nobel Française, dynamite et celluloïd - Un patronat conjoint

 

Jack Leroux - Ingénieur des Arts et Manufactures

Président de la Société Nobel Française

 

Pour un large public, l’histoire de la Société Nobel Française est liée à celle de la fabrication des poupées en celluloïd. De fait, le celluloïd est une matière artificielle ayant pour base la nitrocellulose, fibre généralement issue du coton et modifiée par un traitement aux acides. Cette même base peut également intervenir dans la fabrication de la dynamite, d’où une histoire conjointe des sociétés de fabrication de celluloïd et de dynamite, dont Nobel Française apparaît l’une des principales représentantes. Aussi cet article retrace-t-il un siècle de fusions des sociétés, ayant principalement à leur tête un représentant patronal des sociétés Nobel de dynamite (années 1880-1980).

 

La Société Générale pour la Fabrication de Matières Plastiques (S.M.P.) - 1889

 


 

Fondée en 1877 sous l’impulsion des frères Hyatt[1], la Compagnie Française du Celluloïd édifie la première usine de celluloïd existant en France à Stains, près de Saint-Denis (Seine). A la fin des années 1880, cette société pionnière fait désormais face à la concurrence de la Société Centrale de Dynamite, fondée en 1887 par A. Nobel et dont le premier geste est de créer, en 1889, la Société Générale pour la Fabrication de Matières Plastiques (S.M.P.).

Sous la présidence de Paul Barbe (1835-1890), premier président de la Société Générale des Matières Plastiques et administrateur depuis 1875 de la Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite, une usine pour la production de coton azotique est établie à La Rivière Saint-Sauveur, sur des terrains appartenant à la dynamiterie d’Ablon (Calvados). Le directeur venu installer l’usine de La Rivière Saint-Sauveur est Pieters, issu de l’usine concurrente de Stains[2].

La Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite étant propriétaire des dynamiteries de Paulilles (Pyrénées-Orientales) et d’Ablon (Calvados), la Société des Matières Plastiques fabrique plus largement du coton azotique nécessaire à la préparation des dynamites gommes, des collodions et du celluloïd.

Aux décès de Paul Barbe et d’André Mialane (1822-1890), présidents successifs des Matières Plastiques, la présidence de la société est ensuite dévolue à Albert Le Play (1842-1937), remplacé en 1906 par Léon Weill, tous administrateurs des sociétés de dynamite Nobel : Société Centrale ou Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite.

 


En 1913, intervient une première fusion entre la Société pour la Fabrication des Matières Plastiques et la Compagnie Française du Celluloïd, société concurrente et pionnière fondée au siècle précédent. A la fabrique de La Rivière Saint-Sauveur s'ajoute donc désormais l'unité de Stains. La capacité de production de celluloïd dépasse alors 1000 tonnes par an, dont 1/3 à Stains et 2/3 à La Rivière Saint Sauveur. Au décès de Léon Weill en 1915, la présidence du conseil d’administration des Matières Plastiques est dévolue à Jules Chaubet (1884-1935), également président de la Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite, socle du groupe Nobel.

 

La Société Industrielle des Matières Plastiques (S.I.M.P.) - 1924

 


 

Au lendemain de la guerre de 1914, en période de crise frappant la production de celluloïd, a lieu une seconde vague de fusions. En 1924, la Société générale pour la fabrication des Matières Plastiques fusionne avec la Société Industrielle du Celluloïd. Cette dernière société anonyme, créée en 1906 par Alfred Marx, était elle-même issue d’une fusion entre la maison Neumann et Marx, fondée en 1887 par Alfred Marx et Alfred Neumann, et la Société Industrielle de Cellulose.

Toujours présidée par Jules Chaubet, ancien président de la S.M.P., la nouvelle société prend alors la dénomination de Société Industrielle des Matières Plastiques (S.I.M.P.). Cette nouvelle société résulte en définitive de la réunion de trois entités issues d'horizons différents : la Société générale pour la Fabrication des Matières Plastiques, filiale de la Centrale de Dynamite (Nobel), la Cie Française de Celluloïd, société historique des frères Hyatt, et la Société Industrielle de Celluloïd, issue de l'ancienne maison Neumann et Marx. 

Eugène Schueller, ingénieur chimiste et directeur général de l’ancienne Société Industrielle du Celluloïd organise dès lors la production des cinq usines de matières plastiques : La Rivière Saint Sauveur et Stains auxquelles s’ajoutent désormais celles de Vert galant (Villetaneuse - Seine), Chauffry (Seine-et-Marne) et Oyonnax (Ain).

 

La Société Nobel Française - 1929

 


 

Quelques années plus tard, en 1929, intervient une nouvelle fusion, réalisée cette fois entre la Société Industrielle des Matières Plastiques (S.I.M.P.) et la Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite. Cette opération a pour but le rééquilibrage financier du secteur "celluloïd". Devenue Société Nobel Française, la nouvelle société est alors présidée par Paul Clemenceau (1857-1946), en remplacement de Jules Chaubet, nommé président d’honneur.

Précédemment exercée par Eugène Schueller, la direction générale de la société fait place à une direction technique, confiée à Maurice Belloc pour l’ensemble des usines. Dans les années 1930, en raison de la disparition de la concurrence liée à la crise, la Société Nobel Française demeure alors la principale société productrice de celluloïd en France. Elle connaît toutefois une augmentation de sa production d’explosifs au détriment de celle de celluloïd, en diminution malgré l’émergence de matières de substitution.

Au décès de Paul Clémenceau en 1946, succède à la tête de la Société Nobel Française Jack Leroux, décédé dix ans plus tard, en 1956. Désormais, la production de celluloïd ne figure plus parmi les objectifs principaux de Nobel Française, devenue Nobel-Bozel en 1957. A terme, celle-ci ne dispose plus que d’une seule usine de nitrocellulose et de celluloïd, celle de La Rivière Saint Sauveur. La fabrication de celluloïd y cesse en 1965, suivie de celle de nitrocellulose en 1980[3].

Repères chronologiques

En résumé, les sociétés de fabrication de celluloïd apparaissent dominées, dans leur présidence, par les sociétés Nobel de dynamite. De 1889 à 1924, la Société Générale pour la Fabrication de Matières Plastiques (S.M.P.), créée par la Société Générale et la Société Centrale de Dynamite, est présidée par Paul Barbe (1889-1890) ; André Mialane (1890) ; Albert Le Play (1890-1906) ; Léon Weill (1906-1915) et Jules Chaubet (1915-1924).

De 1924 à 1929, la Société Industrielle des Matières plastiques (S.I.M.P) qui succède à la société initiale dans l'entre deux guerres, est présidée par Jules Chaubet. De 1929 à 1956, la Société Nobel Française, intégrant un vaste ensemble d'entreprises historiques, est présidée par Paul Clémenceau (1929-1946) puis Jack Leroux (1946-1956). Tous ces dirigeants sont issus des sociétés Nobel de dynamite, Jack Leroux étant en outre Résistant, allié par mariage à la grande famille fondatrice des explosifs Barbier.

E. PRACA

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BIBLIOGRAPHIE

GALLIOT Armand, 75 ans d’activité d’un holding, La Société Centrale de Dynamite. 1887-1962, Paris, 1963.

POUR EN SAVOIR PLUS

MICHEL Jean-Marie, Contribution à l’histoire industrielle des Polymères en France.

PRACA E., Fondateurs de la Société Générale pour la Fabrication des Matières Plastiques - 1889, Site Amis de Paulilles, rubrique Administration/Patronat.

PRACA E., Jack LEROUX - Dynamite et Résistance, Site Amis de Paulilles, rubrique Administration/Patronat.

PRACA E., Claude Forestier - 1853-1937 - Disques et dynamite, Site Amis de Paulilles, rubrique Productions.

CONFERENCES

PRACA E., Genèse du patronat dynamitier : les sociétés de dynamite de Paulilles, Conférence le 19 décembre 2013, Maison de la Catalanité, Perpignan.

PRACA E., Essor du patronat dynamitier : la Société Centrale de Dynamite et ses filiales, Conférence le 23 janvier 2014, Maison de la Catalanité, Perpignan.

 


[1] D’origine américaine.

[2] Pieters, directeur à La Rivière Saint Sauveur jusqu’en 1910, ensuite remplacé par Gaymard de 1910 à 1924.

[3] MICHEL Jean-Marie, Contribution à l’histoire industrielle des Polymères en France.