L’exemple du grand site de l'Anse de Paulilles

 

 Différentes vues du grand site de l'Anse de Paulilles

 

L’évolution des paysages ruraux pose la question de l’équilibre entre l’anthropique et le naturel. Souvent, le changement d’affectation s’est fait sans concession : le modèle urbain a investi l’espace rural par étalement, tandis que le modèle rural imitait la ville en segmentant les espaces d’habitat, les commerces et les services. Depuis plusieurs années, cette évolution tend à être corrigée. On cherche à faire avec le site plutôt que sans, voire contre lui, on utilise la géographie des lieux et leur mémoire.

Situés au milieu des vignes, entre Port-Vendres et Banyuls, les 30 hectares du site de Paulilles furent longtemps une proie convoitée par les promoteurs. Le site avait été occupé par une usine de dynamite, abandonné plusieurs années, puis racheté par le Conservatoire du littoral. Comment proposer de nouveaux usages sans renier son passé industriel ? Comment concevoir une identité et des usages nouveaux pour Paulilles, tout en restituant sa qualité d’écrin de nature ?

L’anse de Paulilles est entourée par un paysage viticole de grande aménité. La cheminée de l’usine émerge du relief ; en écho, la tour de la Madeloc sur la crête et, au large, le phare du Cap Béar. Entre les micocouliers, les palmiers et les cyprès, des bâtiments abîmés occupaient l’espace en un chaos de ruines et de végétation vagabonde qui rendait impénétrable l’accès à la mystérieuse « plage de l’usine ». Le projet de réhabilitation, baptisé « L’avenir d’une mémoire » a réinterprété de façon contemporaine tous les éléments anciens de ce site paradoxal : une anse naturelle comblée par un remblaiement artificiel, une industrie dangereuse où tous avaient travaillé, un site de beauté et de saccage qu’il s’agissait désormais de protéger tout en l’ouvrant aux flux de la fréquentation estivale.

Le patrimoine industriel de Paulilles n’appelait pas de vision nostalgique : venu des pays du Nord, le concept de patrimoine citoyen paraissait convenir à sa forte valeur mémorielle et identitaire, comme au message d’avenir qu’il portait aux générations futures. Le projet a donc privilégié les valeurs patrimoniales du site industriel comme les qualités géographiques, paysagères et écologiques de sa baie. Le projet était porté, d’autre part, par les valeurs universelles incarnées par la personnalité visionnaire d’Alfred Nobel et l’ambition du Conservatoire du littoral : ce patrimoine actif viserait la sensibilisation, les innovations durables et l’excellence.

La réhabilitation du site a donc opté pour une régénération douce du site. Une cinquantaine de bâtiments ruinés ont été démolis, une dizaine restaurés pour accueillir des lieux de rencontre et d’exposition. La nouvelle identité de Paulilles se construisait, à partir de ses trois grandes entités paysagères :

● trait d’union entre le massif des Albères et la mer, l’arc panoramique guide les visiteurs de la maison de site jusqu’au hameau et à la plage, entre la grande prairie et une séquence de jardins ;

● l’arc littoral assure la continuité du sentier du littoral et accueille un parcours muséographique de plein air dans les alcôves de l’ancienne dynamiterie. II ouvre sur l’esplanade des quatre tours et sa vue panoramique ;

● au coeur du site et de son grand paysage, les quatre hectares de la grande prairie sont fauchés selon les cycles saisonniers et ombragés par des bosquets.

Le projet a cherché à redonner une cohérence aux édifices industriels réhabilités, qui avaient été maintes fois remaniés au cours de leur histoire industrielle. Pour répondre à la nouvelle vocation culturelle et touristique du site, ont été unifiés les matériaux des différents bâtiments, clarifié leurs modénatures de façade et mis en valeur les rythmes simples de ces architectures industrielles par un vocabulaire commun d’enduits et de tuiles, avec une palette colorée restreinte et un motif de bois ajouré qui se décline d’un bout à l’autre du site.

La signalétique et les éléments de muséographie de plein air entrent en résonance avec l’histoire des lieux tout en affirmant leur nouvelle vocation environnementale et sociale. Perpétuant l’identité industrielle du site, des plaques de métal patiné identifient les espaces d’accueil, les cheminements et les expositions. Dominant les différentes alcôves maçonnées où était encartouchée la dynamite, une passerelle de métal suspendue face à la mer guide la découverte de l’ancienne dynamiterie, tandis que plusieurs maquettes y décrivent aujourd’hui le site : Paulilles dans le grand paysage de la Côte vermeille ; la fonction précédente de chacun des bâtiments ; « Les voyages de la dynamite », par lesquels s’exportaient produits et savoir-faire ; enfin la maquette du site au présent.

Au rez-de-chaussée de la maison de site, une scénographie permanente évoque l’histoire audacieuse de ce site pionnier, dans la continuité de laquelle le projet a à son tour créé une nouvelle richesse, immédiatement appropriée par les visiteurs.

Maintenant, le cycle peut s’inverser de la protection à l’aménagement : le PLU prévoit une voie verte entre la gare et la plage et un schéma d’aménagement pour les autres plages de l’anse. On pourrait imaginer des constructions pour accueillir activités et nouveaux habitants.

  

Philippe DELIAU, ALEP, paysagiste mandataire de

l’équipe de maîtrise d’oeuvre en charge du projet de

réhabilitation du site.

 

POUR EN SAVOIR PLUS

Atelier ALEP, architectes-paysagistes : cet atelier aménage des sites à vocation naturaliste, souvent ouverts au public, et des parcs et jardins d'exception.

Lien : http://www.alep-paysage.com/atelier.html

PRACA E., "Les chemins de Paulilles - Article 2008", La Semaine du Roussillon n°244, 11 au 17-9-2008.

DELIAU P. "Evolution du projet de renaturation, transformation physique et perception du paysage de Paulilles - 2005-2015", Conférence SUDHISTOIRE, 17-6-2015, site de Paulilles.