Implantation de la dynamiterie de Paulilles - 1865-1875 - Histoire
En Août 2000, la Délégation Languedoc-Roussillon du Conservatoire de l’Espace Littoral et des Rivages Lacustres (Maître d’ouvrage) et la Direction Départementale de l’Equipement des Pyrénées-Orientales (Maître d’oeuvre) ont établi un cahier des charges pour la réalisation d’une étude historique se rapportant au site de l’ancienne dynamiterie de Paulilles. Ce document a fixé l’organisation de l’étude historique autour de six thèmes différents, le premier d'entre eux étant intitulé : « Le site de Paulilles à la croisée des chemins de l’histoire internationale et de l’histoire locale ». Ce thème concerne l’histoire de l’implantation de l’usine de dynamite de Paulilles, depuis l’invention de la dynamite en 1865 jusqu’à l’implantation définitive de l’usine en 1875-76, et se rapporte donc aux origines de la dynamiterie.
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Conformément au cahier des charges, cette étude se compose donc de plusieurs parties distinctes, relatives aux motifs de l’implantation, au jeu des influences, aux réactions de la population. Le plan adopté en est le suivant : I. - Paulilles dans le contexte européen ; II. - Raisons stratégiques du choix du site ; III. - Influences politiques nationales et locales : IV. - Réactions de la population locale. L’étude s’appuie sur des relevés d’archives et documents originaux. A cet effet, des recherches ont été menées aux Archives départementales des Pyrénées-Orientales, mais aussi aux Archives départementales et bibliothèque municipale de Nancy (Meurthe et Moselle). S’y ajoutent les pièces constitutives de la Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite (1875), issues des Archives Nationales de Paris.
PAULILLES DANS LE CONTEXTE EUROPEEN
Comprise dans un cadre européen, la fondation de la dynamiterie de Paulilles repose sur un faisceau d’éléments convergents. Y participent à l’origine la formation et les relations cosmopolites d’Alfred Nobel contractées dans sa jeunesse, l’implantation des premières usines de dynamite en Europe et la circulation transfrontalière des connaissances relatives à la dynamite.
L’implantation d’une usine de dynamite à Paulilles, près de Port-Vendres ( Pyrénées-Orientales), est le fait de l’ingénieur suédois Alfred Nobel (1833-1896), inventeur en 1865-1866 d’une matière constituée d’un mélange de nitroglycérine et d’absorbant inerte. Cette matière est notoirement connue sous le nom de dynamite. Dès le début des expérimentations se rapportant à cette matière, les objectifs de Nobel tendent à une production industrielle de ses découvertes. Leur production industrielle s’effectue de manière extensive en Europe et aux Etats-Unis, suivant un processus en trois étapes : diffusion des informations relatives à la dynamite; création et légalisation des sociétés commerciales correspondantes; implantation d’ateliers de fabrication.
Ce processus se vérifie également en France. En France, le brevet d’invention de la dynamite est daté du 20 juin 1866. Il constitue le point de départ des manœuvres d’implantation d’Alfred Nobel sur le territoire national. En 1868, une association commerciale entre Alfred Nobel et Paul Barbe, Polytechnicien originaire de Nancy, précède la fondation de l’usine de Paulilles. A la veille de la guerre de 1870, P. Barbe se fait en outre l’interprète des avantages de la dynamite, déjà employée dans l’industrie extractive prussienne.
Formation cosmopolite d’Alfred Nobel
De manière universelle, la notoriété d’Alfred Nobel, né à Stockholm (Suède) en 1833, décédé à San-Rémo (Italie) en 1896, repose sur deux événements : l’invention de la dynamite en 1865-1866; la création après son décès, d’une institution réputée décernant les « Prix Nobel », attribués dans les domaines littéraires et scientifiques, et couronnant des œuvres réalisées en faveur de la paix. De 1833 à 1865, quelques points essentiels de sa jeunesse illustrent notamment l’influence des travaux paternels sur ses orientations futures, ainsi que le caractère cosmopolite de sa formation.
Comme inventeur de la dynamite, Alfred Nobel est d’abord influencé par les travaux scientifiques et industriels de son père, Immanuel Nobel. Débutant par une carrière de conducteur de travaux, celui–ci est nommé en 1827, professeur de géométrie à l’Institut technologique de Stockholm et poursuit des recherches en architecture et surtout en constructions mécaniques.
Très tôt intéressé par les questions d'armement, inventeur de mines explosives de longue portée à base de poudre, Immanuel Nobel se heurte au désintérêt du gouvernement suédois à l'égard ses offres de travaux et services. Emigré en 1837 à St Petersbourg (Russie), sa réussite dans les affaires se concrétise par la création de deux sociétés successives de « Fonderies et Ateliers mécaniques ». Dans ses ateliers sont fabriqués, pour le compte du gouvernement russe et en particulier pour la Marine, des séries de pièces se rapportant à l’armement ou l’explosion : mines de terre ou de mer, en particulier torpilles ; affûts de canon, fusils à tir rapide[1].
Au cours de son adolescence, Alfred Nobel bénéficie des avantages liés à la réussite paternelle. Celui-ci fréquente d’abord l’école suédoise à Stockholm puis rejoint son père en Russie à l’âge de 9 ans. Il y passe sa jeunesse et y reçoit un enseignement dispensé par des précepteurs et professeurs particuliers, suédois et russes, notamment en chimie et en langues étrangères. L’usine familiale, où s’effectuent de nombreuses expériences, lui permet également de se perfectionner en chimie.
A l’âge de 17 ans, Alfred Nobel est ensuite envoyé en voyage d’études en Europe et Amérique du Nord (1850-1852). Celui-ci se déroule en Suède, Allemagne, France (en particulier Paris), Italie et à New-York. Il est polyglotte et ses centres d’intérêt se rapportent aux explosifs. Après une apogée en 1854-1856 -guerre de Crimée- les entreprises de Nobel père connaissent un relatif déclin et en 1859, Immanuel Nobel retourne à Stockholm. Pour leur part, ses fils aînés, Louis et Robert, industriels et fabricants d’armes, réussissent une reconversion professionnelle exemplaire, en fondant l’industrie pionnière des pétroles russes[2].
A Stockholm, Immanuel et Alfred Nobel poursuivent leurs expérimentations sur les explosifs. Les recherches d’Alfred Nobel sont cette fois orientées sur les propriétés de la nitroglycérine. A terme, ses travaux se concrétisent d’une part par l’invention du détonateur et d’autre part par l’invention de la dynamite, matière constituée d’un mélange de nitroglycérine liquide et d’absorbant inerte (1865-1866)[3].
Répartition des fabriques en Europe (1865-1875)
Dérivée de ces découvertes, l’implantation d’une industrie des explosifs chimiques se déroule en deux temps : implantation d’usines de nitroglycérine en Suède à compter de 1861 ; disparition progressive de ces usines au profit des usines de dynamites, implantées en Suède et Europe du Nord à compter de 1865. Chronologiquement, la fondation de l’usine de Paulilles (1870) s’inscrit donc dans le cadre de la progression des entreprises Nobel au sein des divers pays européens, échelonnées selon les opportunités locales et les variations de conjoncture. Intervenant de 1865 à 1875, dans la décennie suivant l’invention de la dynamite, cette phase est celle de la conquête de marchés nationaux nouvellement créés ; généralement, une ou deux usines sont implantées par pays : cf. "Dynamiteries fondées en Europe et aux Etats-Unis (1865- 1875)", site Amis de Paulilles.
Circulation des connaissances relatives à la dynamite (1868-1870)
En France, le brevet d’invention de la dynamite date du 20 juin 1866[4]. Cette période constitue le point de départ des tentatives d’implantation d’Alfred Nobel sur le territoire français. Conformément au processus décrit, ces tentatives débutent en 1868 par une association commerciale réalisée entre Nobel et deux industriels nancéens, Jean-Baptiste Barbe et en particulier son fils Paul Barbe (1836-1890). Le contrat d'affaires pour l'exploitation de la dynamite porte sur un investissement de 200 000 francs par les Barbe et l'octroi en retour de 50% des bénéfices[5].
Le parcours de Paul Barbe est pour sa part connu. Né le 4 février 1836 à Nancy, François dit Paul Barbe est issu d'une famille de la bourgeoisie lorraine. Neveu d'un entrepreneur en bâtiments médaillé de la Légion d'honneur, il est fils du maître de forges Jean-Baptiste Barbe-Schmitz. Ce dernier a brigué le site industriel de Pont-à-Mousson, un temps mis en vente, puis est devenu propriétaire de hauts fourneaux à Liverdun. Il est également concessionnaire de mines de fer dans le département de la Meurthe[6].
Dans un premier temps, Paul Barbe acquiert à l'école de Metz une formation militaire, d'où il sort promu au grade de lieutenant d'artillerie en premier (1857-1861). Ingénieur Polytechnicien, il s’associe ensuite, en temps de paix, à l’entreprise paternelle et se trouve parfaitement informé des perspectives qu'ouvre l'usage de la dynamite dans l'industrie minière et extractive. Depuis les pays proches autorisant la fabrication de la dynamite par l’industrie privée (Prusse et Autriche), s’effectue par ailleurs une circulation transfrontalière des informations relatives à l’emploi de la dynamite. Celle-ci atteint la France par la frontière de l’est.
Travaux d'édition de Paul Barbe
En 1870, Paul Barbe est ainsi traducteur d’une brochure allemande, datée de 1869 et intitulée « La dynamite, substance explosive inventée par M. A. Nobel, ingénieur suédois ». Cette brochure, dont un exemplaire est conservé à la bibliothèque de Nancy, a été initialement rédigée par Isidor Trauzl, militaire en service commandé du ministère de la Guerre autrichien. La traduction effectuée par Paul Barbe est achevée à Liverdun le 1er juillet 1870, à quelques jours de la guerre franco-prussienne, déclarée le 18 juillet[7]. Elle est accompagnée d’un plaidoyer de ce dernier en faveur de la fabrication de la dynamite par l’industrie privée, selon une conception inspirée du modèle autrichien. La conclusion en est formulée en ces termes :
« Pour lutter avec succès contre l’étranger, il faut que notre armée et notre industrie aient à leur disposition tous les moyens d’action dont disposent les peuples voisins. Parmi eux, il faut compter en première ligne la dynamite, employée à une grande échelle en Prusse, en Autriche, en Suède, en Norvège, en Belgique, en Suisse, en Californie et dans l’Amérique du Sud (…) En terminant, qu’il me soit permis d’émettre le vœu de voir notre pays adopter les principes reçus en Autriche, et tolérer la libre introduction de ce nouveau composé explosif, en attendant qu’une fabrication française soit en mesure de pourvoir à nos besoins ».
La conception autrichienne est alors la suivante : ce pays maintient un monopole d’Etat sur la fabrication des poudres et explosifs mais, paradoxalement, ce monopole s'avère toutefois théorique, car l’Autriche autorise et réglemente dans le même temps la fabrication et la vente de la dynamite par l’industrie privée. En France existe également un monopole d’Etat de la fabrication des poudres et explosifs. Etabli en 1775 sous la forme d’une Régie des poudres et salpêtres, momentanément supprimé en 1793 par la Convention, en raison des besoins militaires lors des guerres républicaines, le monopole est rétabli en 1797 (an V). Celui-ci confère à l’Etat le monopole absolu de la fabrication, de l’exploitation et de la vente de la poudre et autres matières explosives[8]. Au niveau national, l’implantation d’une usine de dynamite demeure donc dans un premier temps interdite et la conclusion de Paul Barbe appelle à un assouplissement de la position gouvernementale.
CHOIX DU SITE DE PAULILLES - RAISONS STRATEGIQUES
La guerre de 1870 et ses conséquences en France
Changements législatifs
En France, la situation de monopole d’Etat se trouve ensuite radicalement modifiée, en conséquence directe de la guerre de 1870. Déclarée à la Prusse le 18 juillet 1870, la guerre se caractérise rapidement, du côté français, par une suite de revers militaires. Ces défaites successives provoquent en retour une révolution politique. La perte de l'Alsace, l'invasion de la Lorraine, la capitulation de l'armée à Sedan le 1er septembre 1870, entraînent en effet le 4 septembre le renversement de l'Empire et la proclamation de la République. A compter du 18 septembre, l'armée prussienne met le siège devant la capitale.
Cette chronologie apparaît importante. Les premières décisions du nouveau gouvernement consistent en effet à mettre fin au monopole d'état, par une série de décrets sur la fabrication d'armements, pris du 5 septembre, lendemain de la chute de l'Empire, au 8 octobre 1870, veille de l'arrivée de Gambetta à Tours.
Les points essentiels sont les suivants : en réaction aux revers militaires et à la pénurie d'armement, le nouveau gouvernement de la Défense Nationale décrète dès le 5 septembre 1870, que "la fabrication, le commerce et la vente des armes" sont dorénavant "absolument libres"[9]. Destiné à favoriser les initiatives privées, le 13 septembre, un crédit de dix millions de francs est attribué à une nouvelle commission placée sous le contrôle du ministère des Travaux Publics, chargée de régir le futur marché de l'armement[10].
Un remaniement du régime douanier est par ailleurs opéré, en supprimant les taxes d'importation pour les armes et cartouches de provenance étrangère (9 septembre) et pour les poudres de guerre (8 octobre)[11]. Reconduite à la fin de l'année 1870, cette mesure s’étend ensuite à tous les moyens de défense susceptibles d'être mis en œuvre contre l’ennemi.
La pénurie d'armes s'avère en effet complète, en raison des pertes de matériel et de l'insuffisance du nombre d'ateliers de fabrication militaire[12]. Depuis août 1870, des achats d'armes sont effectués à l'étranger, en Grande Bretagne, aux Etats-Unis ou en Belgique[13]. En définitive, la guerre de 1870 entraîne la fin du monopole d'Etat sur l’armement, au profit des initiatives émanant de l'industrie privée. Le secteur privé est également sollicité pour apporter son concours scientifique à l’amélioration de l’équipement militaire.
Le projet d’une usine de dynamite
Importance du siège de Toul
De manière plus ponctuelle, la fondation de l'usine de Paulilles résulte des revers subis par les régions envahies et paradoxalement, trouve son origine dans le siège de la ville de Toul (Lorraine). A compter du 27 juillet 1870 en effet, une dizaine de villes de l'est de la France (dont Metz, Thionville, Verdun ou Toul) sont déclarées en état de siège[14]. Investie par les Prussiens le 14 août 1870, la ville de Toul capitule finalement le 23 septembre, après un siège de six semaines. Dans l'intervalle, elle a tenté d'opposer, sous le feu de l'ennemi, des capacités de résistance réduites, mais néanmoins déterminées[15]. Cette volonté de résistance est reconnue par le gouvernement de la Défense nationale qui décrète, au cours du siège, que la ville a "bien mérité de la patrie"[16].
La reddition honorable de la ville accélère paradoxalement le processus de fondation de Paulilles. Reconnaissant la défense valeureuse de la cité, l'état-major prussien accorde en effet des conditions de capitulation favorables aux officiers assiégés. Ceux-ci obtiennent la faculté de conserver leurs armes et de recouvrer leur liberté, à condition de ne pas reprendre de service durant la guerre en cours. Cette condition, demeurée le plus souvent inappliquée, ouvre à l'inverse la voie à des initiatives d’opposition. Selon un témoignage contemporain, beaucoup d’officiers en profitent alors pour s'esquiver et s'engager sur la voie de la résistance[17].
Ordre de fondation de Paulilles (31 octobre 1870)
C’est alors le cas de Paul Barbe, rappelé en activité le 30 juillet 1870, comme chef d'escadron dans l'artillerie de la garde nationale de la ville de Toul[18]. Au lendemain du 23 septembre 1870, Paul Barbe est rentré dans ses foyers[19]. Dans l'intervalle, depuis le 18 septembre, a lieu le siège de la capitale par les Prussiens. Fort de sa nouvelle liberté et de la reddition honorable de la ville lorraine, Paul Barbe trouve ainsi l'opportunité de présenter ses services à l'antenne gouvernementale de Tours, à savoir l'implantation d'une première usine de dynamite en France.
Toujours refusé sous l'Empire, ce projet répond dès lors entièrement à la poursuite de l'effort de guerre. Le nouveau procédé de la dynamite offre en effet l'avantage d'une puissance de feu supérieure à celle de l'armement traditionnel. Dans ce contexte de crise, la fondation de la fabrique est en conséquence acceptée par la commission de "pyrotechnie" et décidée selon un ordre spécial du 31 octobre 1870, émanant du ministère de l'Intérieur et de la Guerre[20]. Simultanément, P. Barbe et cinq de ses lieutenants sont promus chevaliers de la Légion d'Honneur "pour leur belle conduite pendant le siège de Toul"[21].
En résumé et de manière circonstancielle, la création d’une première usine de dynamite résulte de l'échec de Toul et du siège de Paris, confirmant la faiblesse de l'armement d'artillerie, opposé aux "bombes amenées d'outre-Rhin"[22]. Elle est à la fois une réponse à la pénurie et à l'infériorité de l'armement français et une compensation à l'importation étrangère. Inscrite dans un contexte d'urgence, la fondation de l'usine restitue ainsi à l'industrie de guerre l'opportunité d'une production nationale réactualisée.
L’implantation de l’usine de Paulilles (1870-1871)
Choix stratégiques
Le choix des Pyrénées-Orientales pour l'implantation de l'usine de dynamite résulte de plusieurs facteurs. Il accompagne tout d’abord le recul vers la partie méridionale de la France des principaux organes politiques et administratifs de l’Etat. Ceux-ci sont successivement implantés à Paris, à Tours puis à Bordeaux en raison de l’avancée des combats.
En second lieu, cette implantation s’inscrit dans le cadre d’une réorganisation et d’un recul géographique des ateliers d’armement terrestres, manufactures d’Etat et poudreries. L’origine de cette réorganisation remonte en 1815. Au début du XIXe siècle, les manufactures d’armement sont en effet dispersées à Charleville, St Etienne, Maubeuge, Tulle, Versailles, Mutzig, Klingenthal pour les armes blanches. A compter de 1815, les établissements trop exposés aux frontières, Maubeuge, Klingenthal et Mutzig, sont progressivement repliés à Châtellerault et Charleville, ensuite fermé en 1836. De même, l’artillerie militaire est réorganisée et ne conserve à compter de 1865 que les poudreries du Bouchet, de St Chinian, de Ripault et de Metz.
Au cours de la guerre de 1870, ce recul s’accentue. Les traditionnelles manufactures d'armes - Saint-Etienne, Tulle, Chatellerault – sont alors suppléées par de nouveaux ateliers, ouverts dans le centre et le sud-ouest de la France. Une nouvelle capsulerie est ainsi ouverte à Bayonne. Le département des Pyrénées-Orientales participe de même à ces mesures d’urgence. Les 1er et 13 octobre 1870, une dépêche du ministère des Travaux Publics ordonne l’installation à Perpignan d’une manufacture de cartouches pour fusils Chassepot[23]. Cette mission est la conséquence d’un décret de la Défense nationale, portant la création de ces ateliers « dans tous les départements où la nécessité en sera reconnue ». En premier lieu, le choix d’un site méridional pour l’implantation d’une usine de fabrication de la dynamite résulte donc d'un recul généralisé des fabriques d’armement.
Contingences matérielles
Géographiquement, l’emplacement projeté se situe à l'extrêmité du territoire, à proximité de Port-Vendres et au sud du dernier port le plus méridional de France. En matière de dynamite, le choix d'un site se fixe sur la façade maritime. A cette époque, le transport des matières explosives s'effectue en effet par voie d'eau ou par charroi, son transport ferroviaire se trouvant limité sinon interdit[24]. Les cours d'eau locaux n'étant pas navigables, le choix du bord de mer se révèle en conséquence adéquat, sans compter la fonction de vidange que celle-ci représente pour l'usine. Cette mesure est également appliquée par l’Angleterre à la dynamiterie d’Ardeer en Ecosse, en raison d'interdictions identiques posées contre Nobel (1869).
Dans les Pyrénées-Orientales, le choix de l’anse de Paulilles, permettant un débarquement aisé des produits, répond également à des critères de défense. Cette anse se situe en effet au coeur d'une baie plus vaste, ancrée entre deux caps rocheux, le cap Béarn au nord et celui de l'Oullestreil au sud. Au nord, le cap Béarn, laissé à l'état naturel, est protégé par la proximité du port et de la place-forte maritime de Port-Vendres. Au sud, le cap de l'Oullestreil est pour sa part défendu par un fortin et une batterie militaire. Cette situation stratégique procure ainsi à la future usine une protection de type défensif. Ainsi se justifie, au plan militaire, la fondation de la première usine de dynamite établie en France.
Plus précisément, est choisi pour son implantation un espace de friches et de pâtures en bordure de Méditerranée, dont la partie la plus proche du rivage est composée de sables appartenant aux Domaines. Cédé par le grand propriétaire Vincent Bernadi de Collioure, le terrain acquis est limité au nord par les propriétés de ce dernier et celles de François Pams, à l'est par la mer, à l'ouest par celles de divers particuliers et au sud par le torrent de Cosprons[25]. Le choix du site est également motivé par la présence de la rivière du Cosprons, la fabrication de la nitroglycérine nécessitant une importante quantité d'eau douce.
En définitive, outre les contingences matérielles, le choix du site de Paulilles résulte d’abord d’intérêts stratégiques, et s’inscrit dans le cadre du repli et du renforcement général des structures militaires au sud de la France. Au plan paysager, cet espace est majoritairement composé de pâtures, et d’un petit nombre de métairies éparses. A quelque distance du site, vers le torrent de la Rame, existait autrefois une briqueterie, alors en ruine, également propriété de Bernadi.
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