Cas d’invalidité à la dynamiterie de Paulilles en 1950

 

En mars 1950, en complément d’une nouvelle liste du personnel, est établi par la dynamiterie de Paulilles (Pyr.-Or.) un relevé des ouvriers auxquels s’applique un taux d’invalidité. Sur un total de 250 ouvriers, 22 sont alors répertoriés comme invalides, répartis en trois catégories intitulées : « Mutilés », « Maladie professionnelle » et « Accidents du travail à l’usine ».  Cette liste nominative porte également mention des emplois exercés en 1950, de la date de l’accident survenu à chacun d’eux, de la nature des lésions et du taux d’invalidité.

Catégories d'invalides

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l’entreprise fait ainsi état de neuf mutilés masculins en activité à Paulilles, dont trois sont gardes à l’usine, deux charretiers, deux chargés de l’impression des étiquettes et de la confection des caisses de dynamite, un cuisinier et un jardinier. Pour cette catégorie « Mutilés », la nature des lésions n’est pas précisée, hormis deux mentions, l’une de trépanation pour le garde du fort de l’Oullestreil[1], et l’autre de déportation à Mauthausen pour le jardinier, Léandre Pey[2]. Les taux d’invalidité de cette catégorie varient de 10 à 85%, soit plus de la moitié, 5 ouvriers sur 9, assujettis à un taux d’invalidité égal ou supérieur à 50%.

Au tableau des maladies professionnelles figure pour sa part un seul membre du personnel : il s’agit d’un contremaître plombier, ensuite intégré à l’équipe roulante de l’usine. Victime d’un accident cardio-vasculaire fin avril 1946 et atteint de saturnisme, un taux d’invalidité de 50% lui est appliqué. Les maladies liées à la toxicité du plomb figurent de fait parmi les premières maladies classées comme professionnelles, et pour lesquelles un taux d’invalidité a été calculé.

La troisième catégorie, celle des accidentés du travail, concerne douze ouvriers et ouvrières, dont deux - une encartoucheuse et un menuisier - ont été victimes d’un accident de trajet au cours des hivers 1948 et 1949[3]. Survenus au sein même de l’usine, les dix autres accidents remontent pour les plus anciens à la période de 1914-1917, puis s’échelonnent jusqu’en 1948. Ces dix accidentés, totalisant ensemble douze accidents, sont encore employés à la dynamiterie en 1950. La répartition chronologique de ces accidents invalidants est la suivante : une mention annuelle pour 1914, 1917, 1923, 1925 et 1929, trois mentions pour 1931, une pour 1943 et 1948, deux pour 1944.

Formes de lésions

La nature et le siège des lésions sont précisés. Comme à l’accoutumée, notamment à la suite d’explosions, les mains sont les plus souvent atteintes, occasionnant des taux d’invalidité de 40 à 70%. Ainsi, Lluc Victor, ouvrier désormais affecté à la garde de la dynamiterie, a subi en 1917 la section et la perte de quatre doigts à la main droite (taux d’invalidité : 60 %). Il en est de même pour Joseph Joly, garçon de laboratoire, également victime en 1923 de la perte de quatre doigts à la main droite, et à nouveau victime vingt ans plus tard d’une plaie et fracture à la main gauche, occasionnant une invalidité totale de 70 %. En 1929, Thubert Joséphine, paraffineuse dont le taux d’invalidité a été fixé à 40 %, est pour sa part amputée de deux phalanges sur quatre doigts de la main gauche. A ces victimes ne reste généralement qu’un seul doigt valide : le pouce.

La manipulation d’acides, à la base de la fabrication de nitroglycérine, est également à l’origine d’accidents oculaires. En 1914, l’ouvrier Piquemal Michel a été atteint par un jet d’acide sulfurique « SO4H2 », occasionnant des brûlures à l’œil et à la jambe ; il est désormais affecté à la confection des caisses de dynamite. Il en est de même en 1931 pour Lambert Villacèque, ouvrier victime d’une contusion au globe oculaire droit, désormais affecté au nettoyage des voies et des cours de l’usine. A ces accidents oculaires sont ici attribués des taux d’invalidité de 5 à 20 %.

Plus largement, les contusions, écrasements, plaies et fractures ouvertes ou non, font également partie des accidents du travail et concernent notamment les travailleurs masculins, chargés de la maintenance du site industriel ou de tâches spécialisées : garde (hernie crurale en 1925), tourneur sur métaux (large plaie à la main entre pouce et index en 1931), menuisier (plaie à la main par écrasement en 1931), contremaître (contusions multiples épaule, main, genoux en 1944), entraînant un taux d’invalidité de 4,7 à 48 %.

Taux d'invalidité

En définitive en mars 1950, sur un total de 250 ouvriers et ouvrières composant la main d’oeuvre de la dynamiterie de Paulilles, sont recensés 22 ouvriers infirmes, dont vingt hommes et deux femmes, exerçant encore un emploi salarié. Pour ces survivants à un accident du travail, mutilation ou maladie professionnelle survenu entre 1914 et 1948, un taux d’invalidité a été calculé, dont l’amplitude varie de 4,7 à 85%. Le taux moyen appliqué aux mutilés (38%),  est supérieur de 10% à celui appliqué aux accidentés du travail (28,72%).

Cette présentation des risques dont la prise en charge est mentionnée en 1950 n’est toutefois que provisoire. A ce tableau s’ajoutent en effet les cas d’accidents mortels, qu’il conviendrait dans la mesure du possible, de sérier et d’analyser (voir article sur les accidents à Paulilles en 1950). Par ailleurs, une loi du 30 octobre 1946 a confié l’assurance obligatoire accidents du travail-maladies professionnelles à la Sécurité Sociale, instituée en 1945 et gérée par les partenaires sociaux.

L’établissement de cet état de personnel invalide à la dynamiterie de Paulilles n’apparaît donc pas fortuit, et les relations de cet organisme, ainsi que celles de la médecine du travail, avec la direction et la main d’œuvre de l’usine de Paulilles mériteraient encore d’être précisées.

E. PRACA

 

DOCUMENT

Usine de Paulilles

8 Mars 1950

 

Mutilés

PAOLI Henri – Garde fort Oullestreil – Trépanation – Taux d’invalidité : 55%

TAILLANT Henri – Chargement charbon – Taux d’invalidité : 10%

MONICH F. père – Impression étiquettes – Taux d’invalidité : 60%

TOLLET Hippolyte – Garde consigne – Taux d’invalidité : 10%

GIROLD François – Charretier – Taux d’invalidité : 10%

TRAVER Ovidio – Confection caisses – Taux d’invalidité : 25%

CASTAING Louis – Cuisinier – Taux d’invalidité : 75%

PEY Léandre – Jardinier – Déporté à Matthausen – Taux d’invalidité : 50%

ALOUJES Jean – Garde consigne – Taux d’invalidité : 85%

 

Maladie professionnelle

CESANO Laurent – Contremaître plombier puis équipe roulante – Fin avril 1946 : accident cardio-vasculaire, saturnisme – Taux d’invalidité : 50%.

 

Accidentés du travail

JOLY Joseph – Garçon laboratoire – Accident 3 avril 1923 : section et perte 2°, 3°, 4° et 5° doigts main droite. Taux d’invalidité : 60% – Accident 15 décembre 1943 : Plaie contuse étendue face dorsale main gauche. Fracture extrémité proximale 5e métacarpien – Taux d’invalidité : 10%.

CORTADE Robert – Garde consigne – Accident du 25 mars 1925 : hernie crurale gauche – Taux d’invalidité : 10%.

TUBERT Joséphine – Paraffineuse – Accident du 17 janvier 1929 : amputation 2 phalanges index gauche, milieu 2e phalange médius gauche, 2 phalanges annulaire et auriculaire gauches – Taux d’invalidité : 40%.

VILLACEQUE Lambert – Nettoyage voies et cours – Accident du 22 juillet 1931 : contusion globe oculaire droit – Taux d’invalidité : 20%.

VOLF Albert – Tourneur sur métaux – Accident du 24 novembre 1931 : large plaie entre pouce et index main gauche – Taux d’invalidité : 48%.

SUBIROS Pierre – Menuisier – Accident du 30 novembre 1931 : plaie par écrasement pouce main gauche – Taux d’invalidité : 10%.

OLIVA Antoine – Pointeau – Accident du 18 février 1944 : fracture transversale rotule droite – Taux d’invalidité : 37%.

NICOLAU Joseph – Contremaître Centrale – Accident du 21 février 1944 : contusions multiples épaule droite, main et genoux – Taux d’invalidité : 4,7%.

BARRIS Adrienne – Encartoucheuse – Accident trajet aller du 26 février 1948 : fracture ouverte des deux os de l’avant-bras gauche – Taux d’invalidité : 10%.

LLUC Victor – Garde dynamiterie – Accident du 30 octobre 1917 : section et perte 2°,3°,4° et 5° doigt main droite – Taux d’invalidité : 60%.

PIQUEMAL Michel – Confection – Accident de 1914 : brûlure à l’œil droit et jambe droite par S04H2 – Taux d’invalidité : 5%.

RAMIO Ephrem – Menuisier – Accident trajet retour du 16 décembre 1949 : contusion base thorax droite à l’arrière – Taux d’invalidité : 30%.

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SOURCES

Archives privées, « Mutilés, Maladie professionnelle, Accidentés du travail à l’usine » : 1 état manuscrit et 2 dactylographiés joints à la « Liste alphabétique du personnel de l’Usine de Paulilles mise à jour le 8 mars 1950 » et à une liste du personnel par services, même date.

 
POUR EN SAVOIR PLUS
 
PRACA Edwige, Personnel de l'usine de Paulilles en 1950. Liste par services, site Les Amis de Paulilles, rubrique "Personnel".
 
PRACA Edwige, Fabrication de dynamite à Paulilles - Accidents en 1950, site Les Amis de Paulilles, rubrique "Risques", sous-partie "Accidents/Grèves".
 

[1] Le Cap de l’Oullestreil comprend les dépôts de dynamite destinée à la commercialisation.

[2] Leandre Pey i Juvanteny, exilé en Catalogne nord en 1939 : in site Internet El Cosidor Digital, “El projecte de les filles de l’Aurora”.

[3] L’accident de trajet est considéré comme accident du travail, selon la loi du 30 octobre 1946.