Dynamite de Paulilles - Explosion du 4 octobre 1891

 

Le 4 octobre 1891, une explosion mortelle survient dans un séchoir à coton[1] de l’usine de dynamite de Paulilles. Deux ouvrières sont tuées, dont l’une à la suite des brûlures reçues. Une troisième est grièvement blessée. Il n’existe alors aucune réglementation se rapportant au séchage du coton azotique dans les entreprises relevant du secteur privé : dynamiteries ou fabriques de celluloïd, dont la fabrication est dangereuse. En employant une mineure de moins de 21 ans le dimanche - jour de congé - l’usine de Paulilles se trouve toutefois dans l’illégalité.

Interrogée par le ministère de la Guerre à la suite de cet accident, la Commission des substances explosives préconise en ce qui la concerne, de nouvelles règles de sécurité pour l’installation et le fonctionnement des séchoirs à coton-poudre : des constructions légères, une contenance limitée à 150 kg par séchoir, une limitation de température de chauffage et de séchage lors de la fabrication. En bref, un modèle de réglementation déjà applicable aux parties les plus dangereuses des dynamiteries[2].

Le 19 août 1893, un décret interministériel fixe désormais les conditions à remplir par les séchoirs à coton azotique humide utilisés dans les fabriques de dynamite de Paulilles (Pyrénées-Orientales), d’Ablon (Calvados)[3] et de Cugny (Seine et Marne)[4]. Il est exécutoire à compter du 1er septembre de la même année. Sur cette base applicable à l'industrie privée sont dès lors établis les nouveaux séchoirs à coton de la dynamiterie de Paulilles, dont le troisième est autorisé en 1907[5].

Fondant un maillon supplémentaire dans l’histoire des explosifs, la mémoire de l’accident de 1891 n’est toutefois pas conservée durablement, comme en témoigne l’absence de recensement ultérieur, dans le journal local Le Travailleur catalan de 1950. Le rapport de cet accident figure toutefois aux Archives Nationales de Suède: comme tout accident survenu dans les dynamiteries de son groupe, celui-ci fait alors l'objet d'un compte-rendu, directement adressé à Alfred Nobel.

 E. PRACA

 

ETAT-CIVIL DES VICTIMES

Actes de décès à Port-Vendres - 5-10-1891

 

Serrano Colombe, 19 ans, célibataire, nationalité espagnole, ouvrière à l'usine de dynamite de Paulilles, née à Ste Colombe de Centelles (province de Barcelone), demeurant à Paulilles, annexe de Port-Vendres, fille mineure de Serrano Joseph, journalier, 41 ans et de Thérèse Costa, 53 ans, tous deux Espagnols, domicilés à Port-Bou (Espagne), décédée la veille.

Espérou Marie, 22 ans, célibataire, ouvrière à l'usine de dynamite de Paulilles, née à Rivesaltes, domiciliée à Banyuls-sur-Mer, fille d'Espérou Baptiste, chef cantonnier, 52 ans et de Fages Anna, 47 ans, domiciliés à Banyuls-sur-Mer, décédée la veille.

 

DOCUMENTS

4 octobre 1891 - 2 ouvrières tuées

Journal Le Petit Parisien - 7 octobre 1891 

L’explosion de Paulilles

« Perpignan 5 octobre. Une explosion s’est produite à l’usine de dynamite de Paulilles, près de Port-Vendres. Une baraque où l’on fabriquait des cartouches a sauté. Une ouvrière âgée de vingt-deux ans a été tuée. Deux autres ouvrières ont été grièvement blessées. Une enquête est commencée.

« Perpignan 5 octobre. Une des ouvrières blessées dans l’explosion du séchoir à coton de l’usine de dynamite de Paulilles a succombé à la suite des brûlures. L’inhumation a eu lieu après les constatations et l’enquête faite par le Parquet de Céret. L’explosion a produit une vive émotion dans les villages environnants, dont un grand nombre d’habitants travaillent à Paulilles. L’usine appartient à la Société générale pour la fabrication de la dynamite dont le siège est à Paris ».

 

Journal de Toulouse – 7 octobre 1891

« L’explosion de Paulilles – Perpignan 6 octobre – Melle Colombe Serraud, âgée de dix-neuf ans, troisième victime de l’explosion de l’usine de dynamite de Paulilles, a succombé dans la nuit à la suite des brûlures atroces qu’elle avait reçues.

La malheureuse ouvrière arrivait avec un chargement de coton nitré devant le séchoir quand l’explosion intérieure mit le feu au chargement, lui carbonisant presque les bras et les jambes. Ses obsèques auront lieu demain. Celles de la première victime, Marie Esperon, âgée de vingt-deux ans, ont eu lieu dans la matinée au milieu d’une affluence considérable. La manifestation était vraiment imposante et l’émotion très vive parmi les braves assistants ».

 

Conseil Général des Pyrénées-Orientales

Rapports et délibérations - août 1892 - p.76

Accident – Procès-verbal

« Le dimanche quatre octobre 1891 entre 5 et 6 heures de l'après-midi une explosion se produisit à l'usine de Paulilles. Une jeune fille, la nommée Colombo Ferrand, était occupée dans une baraque contrairement aux prescriptions de la loi du 19 mai 1874 ainsi que la nommée Espéron, âgée de 22 ans.

La première mourut à la suite de ses brûlures et l'autre fut trouvée complètement carbonisée parmi les décombres fumants.

Procès-verbal fut dressé contre le Directeur de l'usine pour avoir, contrairement aux prescriptions de la loi, occupé un jour de fête une fille âgée de moins de 21 ans.

Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'expression sincère de mes sentiments respectueux. Ph. REY, Inspecteur départemental des enfants et des filles mineures employées dans l'Industrie ».

 

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LEGISLATION

Ministère de la Guerre

Demande d’avis - 1891

Rapport n°74 – Sur la réglementation du séchage du coton azotique. Etude confiée à la 1ère section, rapporteur M. Lambert, Mémorial des Poudres, 1893, tome 6, p.216.

«  A la suite d’une explosion survenue le 4 octobre 1891 dans un séchoir à coton-poudre de la dynamiterie de Paulilles, M. le Ministre de la Guerre, par dépêche du 16 novembre suivant, demande à la Commission des substances explosives de lui donner son avis sur les conditions à imposer pour le séchage du coton azotique dans les fabriques de dynamite.

« Aucune réglementation n’existait, en effet, pour cette opération qui est effectuée non seulement dans les dynamiteries mais aussi dans les fabriques de celluloïd et de collodion.

« Les chances d’inflammation et d’explosion que cette opération présente sont cependant considérables ; elles résultent de la facilité avec laquelle le coton-poudre se décompose sous l’influence d’une température peu élevée, d’un choc ou d’un frottement un peu énergique » 

 

Décret

19 août 1893

 

■ Décret qui fixe les conditions à remplir par les séchoirs à coton azotique humide employés dans les fabriques de dynamite d’Ablon, de Cugny et de Paulilles.

Le Président de la République Française

(…) Décrète

Article premier - Les séchoirs à coton azotique humide employés dans les fabriques de dynamite d'Ablon (Calvados), de Cugny (Seine-et-Marne) et de Paulilles (Pyrénées-Orientales), doivent remplir les conditions ci-après.

Article 2 - La température des appareils de chauffage à leur entrée dans le séchoir et, par conséquent en un point quelconque de l'atelier, ne devra pas être supérieure à 65 degrés centigrades ; des thermomètres avertisseurs placés dans l'intérieur de l'atelier seront disposés de façon à prévenir par une sonnerie dès que la température dépassera ce chiffre.

Les appareils de chauffage seront, en outre, établis de manière que les poussières de coton-poudre ne puissent être entraînées en dehors du séchoir et transportées en des points dont la température serait supérieure à 65 degrés.

Article 3 - La température à laquelle le coton-poudre sera porté pendant le séchage ne dépassera pas 55 degrés.

Article 4 - Toute opération de transvasement, mise en sac, pesage, etc... sera interdite à l'intérieur du séchoir, la préparation des récipients contenant le coton-poudre humide sera faite dans un autre atelier, de manière que l'on n’ait qu'à placer ces récipients sur les appareils de séchage et à les enlever avec leur contenu, sans toucher à ce dernier, quand le séchage sera terminé.

Article 5 - Le poids de chacun des récipients chargés de coton-poudre humide ne devra pas dépasser huit kilogrammes (8 kg.).

Article 6 - Les appareils seront disposés de façon que toutes les parties soient accessibles, faciles à visiter et à nettoyer, et que les opérations de chargement et de déchargement puissent être opérées sans chocs ni frottements dangereux.

Article 7 - La quantité totale de coton-poudre que pourra contenir un séchoir, sauf dans des cas exceptionnels d'isolement, sera limitée à cent cinquante kilogrammes (150 kg.).

Article 8 - Les séchoirs seront construits comme les autres bâtiments de la fabrication renfermant des matières susceptibles de faire explosion, c'est-à-dire avec des parois et une toiture légère, autant que possible avec des matériaux incombustibles ne présentant aucun vide où la poussière de coton-poudre pourrait se loger ou séjourner.

Article 9 - Les séchoirs qui seraient construits ultérieurement devront être établis dans les mêmes conditions.

Article 10 - Les dispositions qui précèdent seront exécutoires à partir du 1er septembre 1893.

Article 11 - Les ministres du commerce, de l'industrie et des colonies, de l'intérieur, des finances et de la guerre sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera inséré au Bulletin des lois et publié au Journal Officiel de la République Française.

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SOURCES
ADPO, NMD Port-Vendres, 9NUM2E2906, actes de décès du 5-10-1891 n°128 et 129.
 
BIBLIOGRAPHIE
 
DEJEAN A. et LE PLAY P., Code des explosifs, Paris, Dunod, 2e édition, 1938, p.85-86.
 
POUR EN SAVOIR PLUS
 
PRACA E., Paulilles - Série rouge des accidents mortels - 1877-1934, Site Amis de Paulilles, Rubrique Risques, section Accidents/Grèves.
 
PRACA E., Coton azotique : risques et consignes à Paulilles (1931-1932), Site Amis de Paulilles, Rubrique Risques, section Accidents/Grèves.


[1] Le coton imbibé d’acides est utilisé dans la fabrication de dynamite-gomme et celle d’objets en celluloïd.

[2] Rapport n°74 – Sur la réglementation du séchage du coton azotique. Etude confiée à la 1ère section, rapporteur M. Lambert, Mémorial des Poudres, 1893, tome 6, p.216

[3] Dépendant de la Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite (société Nobel).

[4] Dépendant de la Société Française des Explosifs.

[5] A.N. F/7/12808.