Appel à la charité publique par un ancien ouvrier de Paulilles - 1894

 

Appel à la charité publique - Lettre manuscrite de Joseph Combeau - 1894.

 

Né en 1860 à Perpignan, Joseph Combeau est le fils d'un commissionnaire en fourrages. Engagé volontaire de la marine pendant une dizaine d'années, il travaille ensuite comme ouvrier à la dynamiterie de Paulilles puis en qualité de facteur des postes à Port-Vendres (Pyrénées-Orientales). Il y épouse en 1890 Marie Rolland, une jeune couturière orpheline de père, et de ce mariage sont issus deux enfants, nés en 1891 et 1893. 

Devenu malade et invalide, victime d'une explosion de nitroglycérine et de fièvres contractées aux colonies, il est amputé d'une jambe. En 1894, sans protection sociale ni sanitaire, il fait appel à la charité publique. La lettre qu'il adresse au président du comité des fêtes patriotiques et philantropiques de Perpignan, ville où il est alors domicilié, témoigne de l'extrême précarité de ses conditions d'existence, et de leur rapide dégradation.

En 1896, toujours sans ressources pour subvenir aux besoins de sa famille, il dépose auprès de Jules Pams, député des Pyrénées-Orientales originaire de Port-Vendres, une demande d'obtention de bureau de tabac. Son dossier est alors transmis au ministère de l'Intérieur qui n'y donne pas suite.

Joseph Combeau en est dès lors réduit à la mendicité dans les rues de Perpignan, où il joue de l'orgue devant les établissements publics. Sa situation est à l'origine de débats dans la presse régionale, qui y trouve l'occasion de disserter en faveur ou contre la mendicité.

Le texte ci-dessous reproduit l'appel lancé par Joseph Combeau en 1894, conservé aux Archives de la Ville de Perpignan. Celui-ci est alors âgé 33 ans et son épouse Marie, de 21 ans. Leurs deux enfants Louis et Thérèse, sont alors âgés de trois et de moins d'un an. Ce texte est complété d'un article de presse daté de 1900.

E. PRACA

 

DOCUMENTS

 Lettre de Joseph Combeau au Président

du Comité des Fêtes de Perpignan - 1894

 

"Monsieur le Président,

J'ai l'honneur de vous exposer ma situation, et vous prie respectueusement de vous intéresser dans la mesure du possible.

Lors de mon service militaire dans le corps d'infanterie de marine, je fis un long séjour au Cambodge. Après l'expiration de mon séjour colonial ultra régimentaire, et malade de fièvres paludéennes et anémie tropicale, je descendis en France avec trois mois de convalescence.

Aussitôt ma santé rétablie, je repars à nouveau volontaire au Cambodge, lors de son inspection, et y reste jusqu'à l'expiration de mon service actif. Cette fois encore, la marche dans les eaux malsaines de ce pays me laisse des douleurs rhumatismales, m'affectant toute la partie gauche du corps principalement la jambe gauche.

Arrivé en France, et quelque peu remis par des soins appropriés, je vais travailler dans l'usine de Paulilles ; où, par suite d'une explosion de nitro-glycérine, je suis blessé à la face, principalement à l'oeil gauche ; néanmoins le docteur Galangau de Port-Vendres, me sauve la cornée transparente de l'oeil.

Plus tard, je suis facteur des Postes à Port-Vendres. Mon collègue, par suite des fatigues excessives dans ses fonctions, contracte une maladie qui devient mortelle après une durée de deux mois.

Dès lors, j'embrasse seul le service de la localité, jusqu'au jour, que, par les conséquences du surmenage, je réveille les douleurs aiguës de mes campagnes militaires à tel point, que je contracte un phlegmon gangréneux dans la jambe gauche compliqué d'une arthrite purulente du genou voisin, qui fait exiger l'amputation immédiate.

Aujourd'hui, je suis amputé de la jambe gauche à la hauteur de la cuisse. Dans cet état, je ne puis faire un travail manuel et rémunérateur pour subvenir aux besoins de ma famille.

Je suis marié, et père de deux enfants en bas âge. Mon épouse atteinte de claudication pénible, ne peut m'aider dans la lutte pour la vie.

Dès connaissance de mon état, le Directeur Général des Postes m'a fait mettre en disponibilité. Cette mesure a eu pour effet, la suppression de mon traitement. Néanmoins après bien des démarches, l'on m'a nommé courrier - auxiliaire. Cet emploi n'est qu'une charge en dehors de l'administration et qu'occupait avant moi un gendarme en retraite et que les Postes payent 450 fr. par an, c'est-à-dire 1,25 fr. par jour.

On comprendra qu'avec ce salaire, j'ai bien de la difficulté pour vivre.

Avec cette somme, sans autres ressources, je dépense 8 francs par mois pour nourrir mon plus jeune enfant au biberon ; puis 7 francs pour frais de loyer domiciliaire.

Par suite de misères et privations, ma pauvre femme vient de faire un séjour d'un mois à l'hospice. La pauvre mère souffre beaucoup, de voir ses enfants dénués de vêtements et souffrir la faim.

Après mon épouse, moi-même n'ai-je point fait un séjour de 22 jours à l'hospice. Durant ce temps, l'administration des postes a payé de ma solde, l'homme qui était à ma place.

- Notre département est appelé à fêter nos braves soldats, morts pour la Patrie en 1870. À cette fête, vous avez bien voulu y conjoindre celle pour les malheureux. Ceci prouve votre coeur humain et philanthropique.

Monsieur le Président, je fais un appel chaleureux à vos sentiments ; à ce que vous enquêtiez sur ma situation, et par suite, à l'occasion de ces fêtes patriotiques et philanthropiques, faire quelque bien à ma pauvre famille que je meurs tous les jours de voir souffrir.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président du Comité, l'hommage de mon plus grand respect."

[Signé] : Combeau

Perpignan 25 mai 1894.

Combeau Joseph, rue Arago 40 - Perpignan.

 

L'Express du Midi - Septembre 1900

 

"(...) Aujourd'hui, il a repris sa petite voiture et son accordéon, tous les jours, il charme les oreilles des employés des postes, de la préfecture et de L’Indépendant. Il parait que ça horripile la gent bureaucratique et en son nom les journaux poussent de hauts cris. Le Petit Méridional se distingue particulièrement. D'après lui, X a tort de mendier, il a tort d'agacer le public, il a tort d'exhiber des pancartes contre le gouvernement.

Un peu de pitié, de grâce, pour un homme qui a droit à une pension, à un secours ou à un emploi en rapport avec sa situation ! Les bureaux de tabacs sont distribués à de moins dignes.

Parce que cet homme n'a pas de piston pour aboutir, s'il est aigri par ses malheurs, ce n'est pas une raison pour lui fermer la bouche et l'empêcher de manger du pain. Le facteur musicien ne cherche qu'une chose : du pain. Si l'on ne veut pas le lui donner en justice, qu'on ne trouve pas mauvais qu'il implore la charité du public.

Primum vivere".

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SOURCES

A.C. Ville de Perpignan, I1/39, et 1F1/33, Recensements 1896 : J. Combeau est alors domicilié au n°4 de la rue Arago.

ADPO, NMD Port-Vendres, 2E2906, acte mariage n°45 du 19-4-1890; acte naissance du 31-1-1891.

L'Express du Midi, article intitulé "Perpignan - Un peu de pitié !", 10 septembre 1900, reprenant un article de La Croix des Pyrénées-Orientales.

POUR EN SAVOIR PLUS

Annales de la Chambre des Députés, 6e législature, du 14-1 au 2-4-1896, séance du 25 janvier 1896, Pétition n° 1989 (déposée par Jules Pams, député des Pyrénées-Orientales), concernant Joseph Combeau.