Percement du SAINT-GOTHARD - 1880

 

Saint-Gothard en construction - Entrée du souterrain - Côté d'Airolo

 

En 1883, dans son ouvrage intitulé Les nouvelles routes du globe, Maxime Vuillaume fait un récit du percement du tunnel alpin du Saint Gothard. Au-delà de son aspect littéraire, l’intérêt de ce texte réside dans les informations d'ordre nominatif et chronologique concernant l’avancée des travaux. L’essentiel de la description concerne notamment la jonction entre les deux parties souterraines : sont dès lors mentionnés l’usage de la dynamite parmi les procédés novateurs de percement, ainsi que le franchissement du point de convergence par les cadres de l’entreprise.

Arthur Maury - Ingénieur au Gothard

Parmi le personnel d’encadrement employé par l’entreprise du Saint Gothard figure alors Arthur Maury (1842-1916), né au Puy dans la région d’Auvergne, ingénieur des Arts et manufactures (1865). Après de premiers travaux au chemin de fer de ceinture de Paris, celui-ci participe en qualité d’ingénieur en chef, à l’ensemble des travaux de creusement du tunnel (1872-1881). Agé de 30 ans lors la mise en oeuvre du chantier, il consacre une décennie à l’avancée des travaux tunneliers.

Plus précisément basé à Airolo, commune située dans le Tessin à 1175 m d’altitude, A. Maury est l’un des deux chefs de section employés par l’entreprise sur l’un des versants concernés. L’entreprise emploie alors deux chefs de section : Ernest de Stockalper et Arthur Maury, chacun ingénieur en chef à l’une des extrémités du chantier. Le 29 février 1880, les deux ingénieurs passent avec Edouard Bossi, directeur général des travaux, l’ouverture pratiquée à la jonction entre les deux sections du tunnel[1].

Le concours des sociétés Nobel de dynamite

Par ailleurs, Arthur Maury appartient à un réseau familial composant autour d’Alfred Nobel, à la fois le patronat de la dynamite et celui des travaux publics. Au projet de creusement participent en effet plusieurs dynamiteries dont celle d’Isleten en Suisse et celle d’Avigliana en Italie. Celles-ci relèvent de sociétés Nobel récentes, respectivement fondées dans chacun de ces deux pays.

Parmi les membres de la famille d’Arthur Maury figure ainsi Amédée Hoffer, qui dirige successivement les dynamiteries de Paulilles (France) et d’Avigliana, rejoignant celle d’Isleten en 1875. Assurant la direction de ces fabriques lors du chantier du St Gothard, il quitte Isleten en 1879 pour la dynamiterie Nobel de Hambourg. La phase de travaux souterrains achevée, Arthur Maury quitte également en 1882 l’entreprise du grand tunnel alpin.

La Société continentale de Glycérines et Dynamites

Témoin de la progression de ce vaste chantier et auteur du récit de percement, Maxime Vuillaume est pour sa part secrétaire général de l'entreprise du tunnel du Saint-Gothard, lors de la phase active de creusement. Il devient ensuite directeur de la Société continentale des Glycérines et Dynamites, fondée à Lyon en 1882. La création de la société confirme la participation franco-italienne dans l’industrialisation du nord de l’Italie.

Maxime Vuillaume est en effet directeur de cette société de concert avec Léopold Silvestrini « ancien professeur de chimie industrielle à l'Institut technique de Novare ». Celle-ci est en outre propriétaire d’une fabrique de dynamite à Cengio, petit village perché situé dans la province de Gênes, aux confins de la Ligurie et du Piémont. La dynamiterie a été édifiée en 1882 par un Français, Eugène Jean Barbier (1851-1944), datant ainsi les origines de l'ascension professionnelle de la famille Barbier, et celles du groupe Barbier des explosifs, toujours en activité.

E. PRACA

 

DOCUMENT

Le percement du Saint-Gothard

Jonction de 1880

Extrait de texte -1883

 

« Au milieu de tous les obstacles que nous avons signalés, le percement du Saint-Gothard s’est effectué avec une rapidité qui accuse un progrès marqué dans les méthodes inaugurées au col du Fréjus. Commencées par les moyens manuels ordinaires, le 12 septembre 1872 à l’embouchure sud d’Airolo, le 17 novembre à Goeschenen, continuées mécaniquement en avril 1873 à la tête nord et en juillet à la tête sud, les deux galeries qui, depuis près de sept années, marchaient à la rencontre l’une de l’autre, se rencontrèrent enfin, le 29 février 1880. Depuis quelques jours déjà, les mineurs qui travaillaient dans l’une des deux galeries entendaient distinctement l’explosion des mines de la galerie opposée. Le diaphragme qui séparait encore les deux versants de la montagne s’amincissait chaque jour davantage, bientôt ils perçurent distinctement le battement strident des perforatrices. Enfin un fleuret traversa de part en part et l’on put mesurer l’épaisseur du rocher, dernière barrière dont la dynamite eut vite raison. (…)

Le dernier coup de mine ! voici sept ans qu’on en parle, dans le tunnel, à la table qui nous réunit, partout. Tout le monde court au fond de la galerie ; chacun veut entendre cette suprême explosion, sentir le premier courant d’air qui traversera les entrailles de la montagne, emporter un éclat de roche, témoin de cette victoire si longtemps désirée. Pour la première fois, on va pouvoir aller serrer la main des camarades de la galerie opposée, sans faire le long voyage par le col, parfois huit, dix heures de traîneau, avec la neige qui fouette le visage, et la perspective de l’avalanche qui peut ensevelir la caravane. Tous étaient là : MM. E. Bossi, directeur général des travaux, - E. Stockalper et A. Maury, ingénieurs-chefs de chacune des deux sections, J. Arnaud, conducteur principal, etc… Ils passèrent les premiers, à travers l’étroite déchirure du rocher, le futur souterrain des Alpes helvétiques. »

Maxime VUILLAUME

 
___________________________________
 
BIBLIOGRAPHIE
 
HELENE [VUILLAUME] Maxime, Les nouvelles routes du globe, Paris, 1883, p.198-199.
 
POUR EN SAVOIR PLUS
 
PRACA E., Conditions de travail souterrain - Saint-Gothard - 1880, Site Amis de Paulilles, rubrique Risques, section Accidents/Grèves.
 
Lors du creusement du tunnel du Saint-Gothard, les directeurs de la dynamiterie d'Isleten sont des Lorrains issus de la fabrique pionnière de Paulilles (Pyrénées-Orientales) :
 
- Xavier BENDER - Directeur de la dynamiterie d'Isleten de 1872 à 1875
- Amédée HOFFER - Directeur de la dynamiterie d'Isleten de 1875 à 1879
 
 


[1] L’inauguration de la ligne a lieu en 1882.