Conditions de travail souterrain - SAINT-GOTHARD - 1880

 

Entrée du tunnel du Saint Gothard - Groupe d'ouvriers

 

Au cours des années 1880, le percement du tunnel du Saint Gothard mobilise la communauté scientifique. L’espace souterrain est en effet le siège de températures supérieures à la surface, dont les causes et les relevés donnent lieu à de nouvelles hypothèses. Pour leur part, les effets de cette élévation thermique en sous-sol se répercutent sur la force de travail de la main d’œuvre, employée sur le terrain.

Un environnement hostile

Dans son ouvrage intitulé Les nouvelles routes du globe, Maxime Vuillaume rapporte ainsi le témoignage d’Arthur Maury, l’un des deux chefs de section du chantier. Présent sur le site du Gothard durant près d’une décennie, l’ingénieur atteste de l’extrême pénibilité des conditions de travail. Les ouvriers sont à la fois victimes de la chaleur se dégageant des roches souterraines et de la présence des eaux d'infiltration.

Dans cet environnement hostile, composé de températures élevées et d'humidité, la pression atmosphérique annihile en effet les forces du corps humain. Les conditions de vie au fond du tunnel sont dès lors à l’origine de pathologies spécifiques qu’aggrave l’absence d’aération. Conséquence ultime de cet état de fait, l’ampleur du phénomène se traduit par un renouvellement ininterrompu de la main d’œuvre, auquel se surajoute une importante déqualification professionnelle.

Exploit humain et histoire comparée

Malgré l'usage innovant de la dynamite, dans les années 1880, le creusement d'un tunnel de quinze kilomètres de long demeure donc un exploit humain. Sa réussite mêle à la fois le sacrifice de ses victimes et l'obstination collective des milliers de travailleurs nécessaires à son aboutissement. Dans ce cadre, les conditions de travail posent la question du paternalisme social et de ses limites, question qu'il s'agit également d'observer sous l'angle patronal.

A ce titre et en son temps, la déclaration d'Arthur Maury constitue un témoignage précieux de l'histoire sanitaire et sociale des travailleurs du sous-sol. Par extension, elle interroge sur la validité d'une histoire comparée entre deux secteurs industriels : celui des travaux publics et celui de l'industrie minière. A partir du Saint Gothard, les interférences concernant la législation sociale entre ces deux secteurs apparaissent en effet plausibles. L'histoire tunnelière constitue dès lors le socle d'un champ d'étude élargi, susceptible, dans cette perspective, d'une réflexion prometteuse.

E. PRACA

 

 

DOCUMENT

Conditions de travail au Saint-Gothard

Extrait de texte - 1883

 

(…) Considérée au point de vue du percement lui-même, cette température de 30° à 31°, parfaitement supportable dans un milieu découvert, exerce sur le travail souterrain une influence désastreuse : nous ne saurions invoquer à ce sujet de plus sincère témoignage que celui de notre ami, M. A. Maury, qui dirigea pendant les neuf années de sa construction, la galerie sud d’Airolo :

- « Cette température (30°) n’est pas telle qu’à l’extérieur elle ne permit le travail, mais, dans un milieu saturé d’humidité, elle anéantissait complètement les forces humaines. Les hommes travaillaient complètement nus et, malgré cela, ils étaient incapables d’un effort sérieux ; le moindre mouvement, la parole même, étaient une fatigue, et le travail produit dans ces conditions presque nul. Tous les ouvriers devinrent peu à peu anémiques, furent obligés de quitter le chantier et remplacés par d’autres qui ne produisaient pas plus qu’eux et n’avaient pas leur expérience. On se fera une idée de ce qu’était la vie dans le tunnel le dernier hiver avant le percement, quand je dirai que le cœur arrivait à battre 155 à 160 pulsations et que la température interne du corps humain dépassait 39°… Après le percement achevé, la température ne changea pas beaucoup, mais il se produisit généralement un courant d’air, soit dans un sens, soit dans l’autre, qui rendit la situation plus tenable en détruisant la saturation. Mais les jours où l’équilibre s’établissait entre les pressions atmosphériques aux deux embouchures, le tirage cessait et le tunnel redevenait presque aussi mauvais qu’avant ».

Maxime HELENE

 

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BIBLIOGRAPHIE

Extrait de :

HELENE [VUILLAUME] Maxime, Les nouvelles routes du globe, Paris, 1883, p. 209.

POUR EN SAVOIR PLUS

PRACA E., Percement du Saint-Gothard - 1880, site Amis de Paulilles, rubrique Patrimoine.